Au casino des vins de Bordeaux, rien ne va plus...
La dernière présentation d’Allan Sichel, président du CIVB, a été emprunt d’une surprenante lucidité. On y parle de remise en cause du modèle de distribution des vins de Bordeaux, d’une obligation de réinventer les Bordeaux car insuffisamment adaptés à la demande des consommateurs, que le marché des primeurs des grands crus 2018 n’a pas d’effet sur l’activité générale ( reconnaissance implicite de la dissociation des grands crus des autres bordeaux) , les mots sont forts et surtout évoquent une remise en cause importante du modèle Bordeaux. Mais on ne s’arrête pas là, on sous-entend aussi la trop grande importance des vins rouges dans l’offre Bx( 85%), ces vins rouges qui ont tendance à marquer le pas au niveau de la consommation mondiale. Cela fait longtemps à Bordeaux que l’on ne s’était pas posé la question : Nos Bordeaux sont ils adaptés à la demande des consommateurs?
Ce questionnement me semble particulièrement interessant car il marque un moment important dans la vie des vins de Bordeaux. Pour ceux qui observent le marché des vins, consultent les acteurs du marché, le phénomène de l’inadaptation des vins de Bordeaux au marché ( je parle des bordeaux de début et moyen gamme) est déjà présent depuis quelques temps et particulièrement en France. Outre le « Bordeaux bashing » (dénigrement des Bordeaux) qui sévit, les acteurs du marché en France et à l’international se sont tournés vers d’autres régions viticoles françaises et étrangères. Une première explication vient sans doute du fait que les grands crus ont joué un rôle négatif en terme d’image sur la majorité des vins de début et moyen de gamme. Les prix stratosphériques de quelques crus bordelais ont donné l’image de vins très chers, inabordables alors que la grande majorité des bordeaux se vendent entre 5 et 15 euros, jouissant d’un très bon rapport qualité-prix mais insuffisamment perçu par les consommateurs. De façon générale et en terme médiatique, on se concentre sur les têtes de gondole ( les grands Crus) et on en oublie le reste, c’est exactement ce qui se passe pour les vins de Bordeaux. S’il l’on devait faire un parallèle avec la Bourgogne qui produit des vins tout aussi chers et parfois beaucoup plus, il n’y a pas de « Bourgogne Bashing ». Juste pour rappel, la Romanée Conti ( cru emblématique bourguignon) a atteint des prix voisinant les 9000 euros par bouteille, les vignobles Rousseau (autre pépite) et leurs différents « climats » avoisinant les 4000 euros le flacon. Autant dire que l’inflation des prix n’est pas uniquement bordelaise mais curieusement l’image des Bourgogne n’est pas impactée. La raison est peut être dans la nature même des vins de Bourgogne considérés comme des vins «paysans » et moins « commerciaux » que ne le sont les Bordeaux.
Mais ce détournement des Bordeaux, par les acteurs du marché, est aussi du à une évolution de la demande de leurs clients. Leurs attentes gustatives ont évolué vers des vins avec plus de fraîcheur, moins taniques, jouant la gourmandise mais facile à boire. Le bon vieux bordeaux et ses tanins parfois un peu râpeux a du mal à séduire ces clients. Le marché va vers la fraîcheur, le fruit, la légèreté, et « l’offre bordeaux » ne répond pas à cette évolution. Allan Sichel l’a pointé du doigt dans son dernier bilan viticole. Est-ce une mode ou une tendance qui va perdurer? Tout laisse à penser que les changements alimentaires ( valorisation des fruits et légumes, le flexitarisme ou végétarisme) et la recherche du bien-être physique constituent les bases de cette tendance qui s’affirme comme structurelle. Bordeaux doit en prendre la pleine mesure.
Quant à la distribution des vins de bordeaux, avec l’émergence de la grande distribution en France depuis les années 70, les négociants avaient fait le choix de distribuer une large partie des Bordeaux auprès des grandes enseignes nationales. Or depuis quelques temps, celles-ci naviguent en mer agitée et leur modèle semble être remise en cause. Les dernières annonces des Auchan et Carrefour qui réduisent le nombre de points de vente vont dans ce sens. Juste pour rappel, si l’on évoque les deux foires aux vins annuelles organisées par ces grandes enseignes, les Bordeaux étaient leaders de ces évènements en volume et en valeur. La disruption touchant aussi le modèle de distribution, les opérateurs bordelais doivent se tourner vers d’autres réseaux de commercialisation. Malheureusement, ils se sont éloignés des cavistes qui eux même ont privilégié d’autres régions viticoles françaises ( le fait que les Bordeaux soient très présents en grande surface, n’y est pas étranger). Ces cavistes ont repris des couleurs comme les commerces de proximité dans les grandes villes. Mais l’accueil de ces derniers est un peu froid, doux euphémisme, vis à vis des bordeaux. Les reconquérir ne sera pas chose aisée.
Reste le e-commerce à conquérir et qui progresse à grand pas mais en jouant sur une offre large avec différentes symphonies viticoles françaises et étrangères.
D’un autre coté, l’appel du soleil levant a transformé nos négociants en parfaits connaisseurs et opérateurs sur ce marché, imposant le bordeaux comme référence en Chine. Mais là aussi, la concurrence est vive, les australiens, les chiliens taillent des croupières aux bordelais, appuyés par des accords commerciaux favorables. Résultat des courses, les exportations des Bordeaux vers la chine baissent. Heureusement que les américains aiment les Bordeaux mais la menace « trump » peut jouer en défaveur de l’or bordelais.
Dans ce jeu bordelais, rien de va plus. Dire que nous sommes dans « le creux de la vague » est partagé par les acteurs du marché, y compris le président du CIVB mais gageons que Bordeaux saura lui aussi « disrupter » en interne et en externe pour faire face à la tempête. Les bordeaux ne sont ils pas des vins de commerçants comme l’écrivait le journaliste Jean-Paul Kauffman (voyage à Bordeaux) et qui se sont adaptés au cours des siècles ?
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